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Une île en montagne : le projet "in progress"
mardi 7 septembre 2010, par
Nous vivons en montagne au milieu d’agriculteurs sur un territoire de 13 hectares répartis autour de notre ferme-atelier.
Nous souhaitons, dans les années à venir, mettre le paysage au centre de nos recherches,
en particulier de celle sur l’écriture des plantes présentée dans le catalogue d’expositions V’herbe (2003) pour Caudie Hunzinger
en particulier sur le temps, l’espace et ses transformations dans un territoire pour Robin Hunzinger.
Il s’agit d’inclure le paysage où nous vivons, réservoir de des matières premières végétales, dans l’œuvre elle-même de Claudie.
De conceptualiser le territoire lui-même comme œuvre chez Robin.
Le projet de Claudie Hunzinger
Il se trouve en plus que je suis à un moment donné de ma vie où il est nécessaire de rassembler les différents aspects qui me constituent et de les lier en un tout. Ainsi, plus qu’une articulation, je vois dans ce projet paysager une évolution, un approfondissement, et même une synthèse de l’ensemble de mon travail.
1. L’enquête de terrain
Je me considère tout d’abord comme une défricheuse du paysage où je vis. Aussi je voudrais en étudier la diversité. Il s’agira donc en un premier temps de dresser des inventaires (variétés de graminées, de mousses, de prêles, et d’essences d’arbres qui s’y trouvent déjà), et de noter le lieu précis de leur implantation.
Je tiendrai un carnet de bord où les observations menées seront retranscrites, avec photos, croquis, échantillons, herbier. Le tout pouvant sortir de son carton à dessin, être étalé et consulté comme une documentation, de très grand format, accompagnant les pages d’herbe de la recherche V’herbe.
Pour ordonner et ranger ces pages d’enquête sur le terrain et les pages d’herbe de la recherche (qui comme toute recherche est inépuisable), il me faudrait un meuble à papier où pouvoir les classer sans les entasser dans des cartons à dessin.
2. L’introduction de nouvelles variétés botaniques
Dans ce territoire qui sera étudié comme le lieu singulier d’une artiste d’aujourd’hui travaillant avec le végétal, je voudrais expérimenter l’introduction de certaines nouvelles essences d’arbres originaires de montagnes plus orientales, Ne pas m’en tenir à ce qui est là. Ne pas faire du régionalisme. Oser l’extension géographique, l’universalité, une relation de montagne à montagne par-delà les frontières. Je suis une immobile, une chercheuse sur place, captant et rêvant le monde où je suis, où j’ai décidé de rester, d’être. Je ne voyage donc pas dans le monde, mais je peux faire venir le monde chez moi. Ainsi, je souhaiterais planter des populus lasiocarpa, des sorbus thibetica. Il s’agit de chênes, de peupliers, de sorbiers, essences de montagne, dont il m’est impossible d’acquérir les feuilles, que ce soit auprès d’arboretum de France, ou de Corée ou de Chine dont ils sont originaires. Mais que je trouve chez des pépiniéristes. J’ai donc une solution, planter ces arbres chez moi, arbres assez grands (175cm) pour un rendement feuillu dès cet automne 2006. Ces essences (dont les feuilles ont comme particularité extraordinaire d’être immenses) sont en effet indispensables à l’extension de ma recherche sur la transformation des feuilles d’arbre en papiers découpés par la nature elle-même, et au centre de mon travail à venir faisant référence aux papiers découpés de Matisse. Pour que les papiers découpés par la nature tiennent le choc face aux papiers découpés de Matisse, les feuilles de ces arbres doivent impérativement être grandes, voire géantes. Or les feuilles du quercus dentata font facilement 30 cm de long ; celles du populus, 40 cm de long.
3. La réalisation d’une étude cartographique du territoire comme espace mental
Bien davantage déchiffreuse du paysage que défricheuse, je voudrais réaliser une cartographie du lieu où je travaille et vis. Un objet mental qui justement ferait la synthèse de ce travail et de cette vie.
Grâce aux récentes données par satellites, ortho-photo-plan, il est possible aujourd’hui d’établir un relevé exact d’un lieu, à l’arbre près. Je retravaillerai cette photo satellite, je la complèterai, je l’annoterai. Puis elle sera redessinée avec l’aide d’un infographiste, et imprimée sur PVC.
Découpé à ses limites, le territoire se sera transformé en une île.
La métaphore de l’île en montagne soulignera qu’il s’agit là d’un lieu d’expérimentation et d’imagination, et qu’on est passé du champ scientifique au champ artistique. L’île n’est pas seulement un concept d’écologie moderne (Ramade parle « d’île continentale » pour souligner l’existence de biotopes où se réfugie la biodiversité), pas seulement un laboratoire (l’île du docteur Moreau) mais aussi un lieu de rêve et d’utopie (L’île au trésor et Robinson).
Cette cartographie de mon île fera partie intégrante de la recherche sur l’écriture des plantes, la situant. Présentée en même temps que la recherche, en lui donnant une plus grande force, une plus grande cohérence, elle en sera l’aboutissement.
4. Nous avons alors parlé de notre projet à Dominique Schmitt, agriculteur et président de l’association PAGE*. Ils sont une dizaine d’agriculteurs, dans trois vallées, en train d’élaborer un projet proche du nôtre, et ceci sur des parcelles qu’ils appellent des « îlots », pour lutter contre l’appauvrissement de leur milieu. L’idée nous est venue de réunir notre « île » et ces « îlots » en un projet commun, avec une communication commune, sous forme d’une exposition, « ARCHIPEL ».
Pour qui :
Ce projet se veut un geste d’attention au monde. Il est essentiellement destiné au regard des agriculteurs de montagne qui vivent comme nous, et aux habitants des trois vallées.
Objectifs : Nous voulons faire de ce travail physique, le leur et le nôtre, travail d’amour et de lutte avec la nature, un projet artistique spécifique pour en révéler la signification. Non pas élaborer une œuvre d’art dans la nature mais révéler le sens qu’il y a à y vivre. Nous voulons ainsi intervenir créativement dans la société et participer à un rêve collectif lié à l’environnement.
Réalisation du projet commun
Notre projet artistique devient ainsi un projet pilote qui, dans sa conceptualisation puis dans sa formalisation artistique, puis dans sa communication, aidera les membres de l’association à se convaincre eux-mêmes de l’intérêt d’une démarche environnementale (ce qu’ils ne sont pas encore tous) en la valorisant auprès des autres. Il y a là une passerelle inhabituelle entre une approche artistique et des convictions environnementales, entre l’art et le monde agricole.
L’Archipel prendra la forme d’une installation. Ce sera un dispositif léger, robuste, nomade, fait pour circuler, pour s’adapter à une présentation dans un hangar ou sous un préau au milieu de balles rondes. Il sera d’abord montré à Bambois, à l’occasion des journées du patrimoine 2007, puis pourra circuler d’agriculteur en agriculteur et leur permettre une journée portes ouvertes.
Claudie Hunzinger